Chapitre 13
Un quatrième compagnon
C’est donc ainsi que prit fin le « conseil de guerre ». De conseil, il n’avait eu que le nom. La plupart des participants n’avaient pas prononcé un mot. On n’avait parlé ni de batailles, ni de stratégies, abordé aucun sujet de nature militaire – les seules questions posées avaient concerné Théophile Escargot et sa manie d’emprunter des bijoux et autres objets précieux. Il paraissait doué d’ubiquité, cet homme-là ; voler des bagues, troquer des bagues contre des cochons, des cochons contre des haricots, des haricots contre des pieuvres, des pieuvres contre des engins sous-marins, tels étaient ses passe-temps. Il faisait l’effet d’un malandrin aussi notoire qu’efficient.
Sur le chemin de l’auberge, Jonathan et le professeur s’abîmèrent dans leurs réflexions sans en tirer d’enseignement probant. Le fromager se sentait soulagé d’avoir échappé à une quelconque conscription, mais il se doutait que l’affaire était encore loin de sa conclusion.
À l’issue d’un déjeuner de carrelet aux pommes de terre, arrosé à la bière brune, les deux aînés laissèrent Dooly à ses occupations et gagnèrent par la côte la boulangerie Ackroyd. Le brouillard s’était dissipé en début d’après-midi, et on tenait là, somme toute, une belle journée d’automne. Leur itinéraire les conduisit tour à tour au-dedans et au-dehors des murs de la cité, dans les rues commerçantes et résidentielles, puis, passé une arche massive, sur le rivage. Face au littoral rocailleux, la mer se couvrait d’îlots. Beaucoup n’étaient qu’amas de pierres et d’algues battus par les vents et les marées ; souvent, ils se couronnaient d’un phare, parfois fortifié, car on apercevait, là encore, des gueules de canon aux meurtrières obscures. En fin de compte, elle paraissait imprenable, cette côte.
Des enfants jouaient sur les plages de sable, dont aucune ne mesurait plus de cinquante pas de long ; et bon nombre de nains, les uns en cuissardes, les autres les jambes du pantalon roulées, ramassaient des clams dans les flaques en y enfonçant des fourches aux longues dents.
Les deux mariniers firent une ou deux haltes pour scruter une flaque plus prometteuse que les autres. Des poissons d’un rose orangé – des rougets de roche, sans doute – batifolaient parmi des anémones vert glauque et des oursins pourpres. Des crabes patauds et des nudibranches sinueux vaquaient à leur récolte de nourriture et à leurs tâches de créatures océanes. À l’évidence, on aurait pu passer une journée, voire une semaine entière, à traînasser dans ces flaques, aussi décidèrent-ils de se rendre chez Ackroyd et de mener leur négoce à son terme. En tout, il leur fallut deux bonnes heures pour atteindre leur destination.
La boulangerie était un immense bâtiment de pierre. Dès qu’ils se retrouvèrent face à son côté sous le vent, une odeur de pain chaud les assaillit. Jonathan, qui avait pourtant connu pire, songea que deux pains cuits au four ont un parfum de loin plus agréable que deux cents. Cela lui semblait corroborer ce que disait son père, à savoir que la modération vaut toujours mieux que son contraire – la satiété, la goinfrerie ou un autre défaut, le fromager ne s’en souvenait plus avec exactitude.
C’est Ackroyd en personne qui supervisait les opérations. Il passait donc le plus clair de son temps à inspecter les fours, à enfoncer son doigt dans les miches, à indiquer aux apprentis où manier balai et seau, et ainsi de suite. Ce jour-là, couvert de farine de la tête aux pieds, il élaborait son condiment, savant mélange d’écorces moulues des Îles Merveilleuses et d’épices cultivées par les elfes dans leurs bosquets des Montagnes Blanches. D’ici à la Noël, expliqua-t-il, toute son énergie serait dévolue aux pains d’épice. Après le premier novembre, il se consacrait à ces pâtisseries dont il était le seul à connaître le secret.
Il ajouta au mélange plusieurs pincées de poudre ambrée, couvrit d’un linge la cuve en cuivre dans laquelle l’alchimie devait s’opérer, et mena les deux compagnons au fond de la fabrique, dans une sorte de bureau qui n’avait rien du cagibi habituel, morne et sans confort ; une fenêtre y donnait sur la mer, et les murs étaient tapissés de livres, sauf un qu’occupait une énorme cheminée – l’âtre et la façade en carreaux gravés, le manteau en marbre translucide dont le vert évoquait celui des anémones de la plage. Des dessins à l’encre, au fusain ou à l’aquarelle montraient dans le plus infime détail des tartes et des gâteaux ; l’un d’eux, aussi étonnant que cela pût paraître, représentait l’écuyer Myrkle, marquant son approbation d’un signe de tête, devant un monumental pain à la cannelle glacé. La jeunesse du modèle pouvait dérouter, mais c’était bien lui, sans doute possible : cet air d’avoir été jeté en vrac dans ses habits ne trompait pas.
Jonathan n’aimait guère conduire des affaires, même s’il avait, comme on dit, la bosse du commerce. Ainsi, il savait le poids exact et la juste valeur de ses fromages et, au sou près, le montant de la somme d’argent misée par ses concitoyens, qu’il serrait dans sa bourse. Au total, ils rapporteraient plus de barils de pains d’épice qu’ils n’en avaient emporté de fromages, et les cadeaux elfiques qu’il comptait acheter à Twickenham en rempliraient d’autres. Ces cadeaux ne prennent guère de place, du fait de leur taille minuscule – mais plus ils sont petits, plus ils sont merveilleux. Il arrive qu’ils grandissent, ou changent de forme, mais quatre barils de cadeaux elfiques suffiraient à ravir tous les enfants de Havreville.
Qu’il tirât quelque bénéfice de son négoce n’était au fond que justice ; après tout, les fromages venaient de sa fromagerie et il avait consacré les dernières semaines à sa ville, avec cette expédition. Même un profit modéré, le seul acceptable, a son charme. Il semblait toutefois qu’il dût y renoncer, car il avait perdu son radeau, ou du moins ses vestiges, dans la baie. Non seulement il se jugeait responsable, mais encore il leur faudrait en louer ou en acheter un pour rentrer.
Il décida donc d’aborder le sujet : Ackroyd avait en son temps conclu assez d’affaires pour comprendre les subtilités de la vie du marinier. « On a un problème avec notre radeau, dit Jonathan.
— Quel radeau ? répliqua le boulanger. J’ai entendu dire qu’il s’était fracassé pour de bon. Il me paraît que vous n’avez plus de radeau du tout.
— Voilà. Vous avez mis le doigt dessus. On n’a aucun moyen de transport pour remonter le fleuve. Même le coracle a disparu corps et biens. Dans le brouillard.
— Il vous faut un autre radeau, alors.
— Tout à fait, intervint le professeur. Et un radeau d’une taille non négligeable – voire substantielle. Il semble que ces embarcations aient quelques difficultés sur l’Oriel.
— Bah, dit Ackroyd, n’ayez aucun souci. Vous aurez un radeau à votre disposition.
— Et le coût ? s’enquit Jonathan avec embarras.
— Je l’ignore. Mais j’imagine qu’un radeau figure parmi les avantages de la situation pour laquelle vous allez postuler. Je ne vous ai rien dit ; je répète des rumeurs.
— Ah, fit Jonathan.
— Situation ? » Wurzle semblait fasciné. « Postuler ?
— Pour ainsi dire. » Ackroyd calculait comme quatre sur une feuille de papier, tout en empilant des pièces en petits tas. « Je n’aurais pas dû en parler. Vous serez vite au courant. Rien de bien périlleux, du reste, une simple remontée du fleuve. » Il prit un air confus, comme s’il regrettait d’avoir parlé à tort et à travers. Soudain, la porte s’ouvrit à la volée et un jeune nain, le regard fou, le visage maculé de pâte, surgit en hurlant des propos sans suite sur un « four à pain » et un certain « préposé à la levure ». Le boulanger se leva d’un bond et détala, criant qu’il passerait boire une pinte à l’auberge dans la soirée.
À l’issue de cette conversation qui laissa le fromager et le professeur perplexes, il ne leur resta qu’à ramasser leurs reçus, l’argent, et, plongés dans leur réflexions, à regagner leur logis. Jonathan se sentait démoralisé, car il en venait à croire qu’il ne reverrait jamais Havreville, mais l’éventualité de disposer d’un radeau sans bourse délier le réconfortait quelque peu. Il tenait désormais les aventures pour lassantes, à force, et cependant il ne pouvait se garder d’une bouffée d’orgueil à l’idée de jouer un rôle central dans les événements qui affectaient la vallée de l’Oriel. Somme toute, il était très partagé sur cette affaire.
« Professeur, dit-il, vous savez ce qui me ferait plaisir ?
— Quoi donc, Jonathan ? demanda Wurzle, absorbé par ses pensées.
— Je me sentirais beaucoup mieux si vous acceptiez de prendre la moitié de la somme. Sans vous, tout serait tombé à l’eau, au propre comme au figuré. C’est vous qui avez sauvé les barils de l’inondation, et vous êtes un bon compagnon de voyage. Qu’est-ce que vous en dites ?
— Que j’ai l’intention bien arrêtée de bénéficier de cette entreprise par divers biais, dont l’écriture de livres, l’obtention de crédits de recherche et l’acquis d’un certain renom. Je ne te prendrai pas plus tes bénéfices aujourd’hui que tu ne me prendras les miens dans six mois. D’ailleurs, je me suis invité, souviens-t’en. C’est hors de question. Hors de question. »
Jonathan lui serra la main, et ils reprirent leur route. « En ce cas, laissez-moi vous offrir une bière, dit le fromager.
— Pourquoi pas deux ?
— Marché conclu. »
Un peu plus tard, le professeur s’accorda une petite sieste tandis que Jonathan lézardait au soleil de l’après-midi. Dooly et Achab firent une brève apparition ; d’une manière ou d’une autre, Dooly avait obtenu un crapaud magique – sans pouvoir dire en quoi – et un sac de graines en papier qui devenaient d’étranges fleurs si on les jetait dans l’eau. Le fromager laissa les deux amis à leurs expériences d’horticulture miraculeuse, en se disant que Dooly avait eu une excellente idée : ce serait dommage de rentrer à Havreville sans souvenirs de voyage, et il savait lesquels rapporter.
Sur l’étal du souffleur de verre l’attendait l’orbe céleste qui l’avait enthousiasmé deux jours plus tôt. Le prix, élevé, semblait juste, vu l’extraordinaire de l’objet. Le nain le glissa dans un sachet en velours qu’il rangea dans un coffret en bois pourvu d’un couvercle à charnières.
Il resta une certaine somme à Jonathan, et il se dit que ce serait folie que de l’emporter sur l’Oriel. Ils risquaient fort de tomber dans une embuscade tendue par des bandits de grand chemin, voire par des gobelins. Mieux valait consacrer cet argent sonnant et trébuchant à l’achat de livres : réflexion faite, rares sont les voleurs aimant lire ou prêts à s’embarrasser d’une prise aussi malaisée à transporter.
Il se dirigea donc vers l’une des librairies qu’il comptait visiter, et la trouva ouverte. À l’intérieur, un nain juché sur un tabouret jouait aux échecs contre lui-même et semblait furieux du déroulement de la partie. Mais il salua poliment le fromager quand celui-ci entra. Les rayonnages de guingois montant jusqu’au plafond croulaient sous les livres, et tout disparaissait sous une couche de poussière. Les volumes hors d’atteinte en étaient gris. Jonathan songea que cela ajoutait à leur séduction, comme si les livres, tels les vins, se bonifiaient en vieillissant.
« Tout est à moitié prix, sauf les almanachs, dit le nain en laissant planer sa main au-dessus d’une tour.
— Ils sont si demandés que vous ne les soldez pas ?
— Au contraire, je les donne. Personne n’en veut, excepté les souris. » Le libraire désigna un amas d’almanachs brochés posé par terre près du comptoir. Trois souris, l’une blanche, les deux autres pie-fauve, déchiraient à coups de dents des bandes de papier qu’elles tiraient ensuite dans un trou du mur. On en voyait d’autres trottiner vers l’embrasure de porte qui donnait sur une deuxième salle pareillement remplie de livres. « Je dis souvent qu’il y a dans ce mur les rats de bibliothèque les plus assidus de toute la côte. Ils doivent lire comme des champions. Je n’y comprends rien.
— Ils ont beaucoup de temps libre », dit Jonathan. L’idée que des souris pussent aimer lire autant que n’importe qui lui plut beaucoup. Laissant le nain à sa partie d’échecs, il se mit à fouiner dans une travée et tomba aussitôt sur un véritable filon. Là, les étagères présentaient des romans de pirates, un genre dont il raffolait. À Havreville, il les aurait tous achetés, mais ici, à Maremme, compte tenu du trajet de retour, il devait se montrer pointilleux. Plus il en prendrait, plus il en perdrait s’ils devaient finir dans l’Oriel. Mais au fond, quelle importance, d’en perdre cinquante ou d’en perdre cent ? Dans les deux cas, il n’en aurait plus – le résultat serait identique. Il pouvait tout aussi bien en acheter autant qu’il le voulait et s’en inquiéter le moment venu. C’était bien plus rigolo comme ça. Il attrapa un ouvrage à la couverture sombre intitulé Les Îles Pirates, dont l’auteur était affublé du patronyme de Massenez, le tendit au nain et lui demanda combien il coûtait.
« Le prix est en deuxième page de couverture », répondit l’autre en poussant sa reine de plusieurs cases en avant puis de deux de côté. Jonathan, quoique novice en la matière, était tout de même assez familiarisé avec les échecs pour reconnaître un coup malavisé quand il en voyait un. Le nain abattit son poing sur le comptoir en chêne et toutes les pièces tressautèrent dans un petit nuage de poussière.
« Vous avez vu ça ? demanda le nain.
— Je crois, dit le fromager. Curieux mouvement.
— De la triche, oui ! Comment est-ce que je peux gagner s’il triche ?
— Impossible. Vous parlez de qui, au fait ?
— De mon adversaire. » Et le nain d’indiquer un livre ouvert posé en équilibre sur le comptoir. Jonathan constata que le volume, épais de cinq bons centimètres, s’intitulait Tordre les coups aux échecs et avait beaucoup servi.
« Utilisez un autre livre, conseilla-t-il. Trouvez un nouvel adversaire.
— C’est le seul que j’ai. Il est affreusement rare. De fait, je l’ai payé une fortune.
— Ah, dit le fromager qui comprenait le raisonnement. On dirait qu’il va vous falloir tricher aussi. Ce ne sera que justice.
— C’est hors de question, déclara le nain avec gravité.
— Bien entendu. Au fait, il n’y a pas de prix là-dedans.
— Vous pensez que ça vaut combien ? six sous ?
— Au moins.
— Alors la moitié, trois sous. Tout est à moitié prix, je ne vous l’ai pas déjà dit ? Il me semblait que oui. Les almanachs sont gratuits, mais vous devrez les arracher aux souris. Je vous préviens que la lutte risque d’être acharnée.
— Parfait. » Jonathan ramassa une caisse vide et y posa le livre, vite rejoint par plusieurs du même auteur. Il découvrit ensuite une étagère entière consacrée à Glub Boomp, l’elfe des Montagnes Blanches qui écrivait sur les terres de l’espace, les Îles Merveilleuses et la Balumnie, un pays sous-marin peuplé de tritons. Il va sans dire qu’il les entassa dans sa caisse.
Puis il trouva le véritable filon – l’œuvre de G.Smithers de Broméville. Chez lui, Jonathan avait peut-être une douzaine d’ouvrages écornés et défraîchis d’avoir été lus, relus, prêtés et ainsi de suite, et voilà qu’il contemplait la collection complète, cent vingt-neuf tomes en parfait état. Au bout de deux heures d’exploration, il quitta la librairie dans la brume du soir et loua un chariot pour emporter ses emplettes jusqu’à l’Œil-de-Lune. L’après-midi avait été ahurissant, et d’autant plus réjouissant que le fromager avait déniché un trésor dans la salle consacrée aux manuels savants et aux classiques de la philosophie : les Tomes de Limpus, de vénérables grimoires reliés de vélin qui renfermaient tous les secrets scientifiques de leur temps – un ensemble pour lequel le professeur aurait volontiers donné son tromblon-hautbois. Ils feraient un beau cadeau, que Wurzle ne pourrait pas refuser.
Ce soir-là, l’auberge vit passer le boulanger Ackroyd, ainsi que les quatre camelots, et tout le monde s’installa autour de la cheminée, où un bon feu flambait clair, pour descendre force portions d’oie rôtie et de tourte aux huîtres, et aussi force lampées d’ale. Jonathan et Achab allèrent se coucher fort tard. Le chien s’étendit de tout son long sur la descente de lit, et son maître s’absorba dans un G.Smithers inconnu de lui – récit, entre autres, de trésors enfouis et de guerres gobelines. Mais il s’assoupit avant d’en avoir lu vingt pages et dormit tout d’une traite tandis que ses bougies se délitaient en flaques de cire.
Il lui sembla faire un seul rêve qui dura des heures – un rêve dans lequel le professeur et lui parcouraient d’immenses prés de trèfle et de lavande en compagnie de l’homme de la lune. La journée était belle, ensoleillée, printanière. Le sentier qu’ils suivaient les mena devant une lourde porte en chêne qui s’ouvrait dans le versant abrupt d’une petite colline herbue et que verrouillait une barre assurée par un cadenas. L’homme de la lune essaya toutes sortes de clés reliées par une chaînette avant de trouver la bonne. Quand le battant pivota, il ne révéla qu’un couloir obscur qui s’enfonçait sous les prés. L’homme de la lune prit une lampe dans une niche ménagée derrière la porte, alluma la mèche et entra, suivi des deux compagnons. Leur pas éveillait des échos discrets le long du passage taillé à même la pierre. Peu à peu, Jonathan perçut une fragrance, une âpre odeur musquée qui ne laissait pas d’évoquer le fromage.
« Ça sent comme dans une fromagerie, dit-il tout haut.
— Oui ! dit le professeur. En effet ! C’est très agréable, au demeurant.
— Attention où vous mettez les pieds », dit l’homme de la lune alors qu’ils attaquaient une longue volée de marches qui descendait vers une gigantesque galerie souterraine.
L’homme de la lune augmenta la flamme de la lampe dont l’éclat doré illumina la caverne entière. Les murs grêlés de trous, percés de cavités aux étranges formes géométriques, paraissaient d’un vert pâle de jade. L’odeur de fromage était suffocante.
Leur hôte souriait. À l’aide de son canif, il préleva un morceau de mur et le coupa en trois morceaux. Chacun en prit un en bouche, et Jonathan s’étonna de ce qu’il eût si bon goût, avec sa saveur piquante et sa texture pâteuse. Soudain, il vit le professeur qui, les yeux exorbités, mâchonnait sa portion, en essayant de comprendre cette nouvelle impossibilité flagrante. Jonathan trouva la scène irrésistible et éclata de rire. L’homme de la lune se joignit à lui et, enfin, Wurzle. Quand, après avoir emprunté le même itinéraire en sens inverse, ils se retrouvèrent à l’air libre, ils en riaient encore. Curieusement – même si le fromager trouva la chose normale dans son rêve – il faisait noir, dehors, la nuit était tombée, et ce n’était pas la pâleur de la lune qui éclairait les prés à perte de vue, mais le bleu-vert de la terre, posée sur le ciel fuligineux telle une bille de l’écuyer Myrkle sur un coussin de velours.
Il s’agissait, somme toute, d’un songe plaisant, quoique mystérieux, mais il se termina d’abrupte façon quand Jonathan s’avisa qu’on frappait à sa porte. Il se réveilla, s’assit tout droit sur le lit et clama : « Du fromage vert ! » de toute la force de ses poumons avant de constater qu’il avait quitté le pays des rêves pour sa chambre de l’Œil-de-Lune et que, selon sa montre de gousset, les neuf heures du matin approchaient.
On frappa de nouveau. Achab bondit, fit tout le tour de la pièce et revint près du fromager. « Jonathan ! cria le professeur de l’autre côté du battant. Réveille-toi, mon bon. Nous avons rendez-vous avec ton homme de la lune. » Jonathan se leva, alla jusqu’à la porte et l’ouvrit.
« Je me doutais qu’une rencontre de ce genre se préparait, dit-il.
— Il le fallait, convint Wurzle. Cette remontée de l’Oriel n’a pas grand-chose à voir avec des gâteaux et des cadeaux, tu peux compter là-dessus. »
Une petite heure plus tard, ils retrouvèrent l’homme de la lune à la laiterie de Maremme, qui se situait deux kilomètres à l’intérieur des terres. Il portait son manteau de tweed et prenait appui de tout son poids sur une canne sculptée. Cependant, la campagne environnante et l’activité de la laiterie paraissaient lui remonter le moral, comme s’il se sentait chez lui. Au vrai, il n’y occupait aucune fonction, même s’il aimait à souligner l’amitié qui les unissait, le laitier Hodgson et lui, comme deux doigts de la main – en toutes circonstances, et surtout s’il s’agissait de fabriquer du fromage Jonathan fut ravi de ce que Hodgson, un nain à la barbe pointue et aux airs de chérubin, déclarât à Wurzle qu’il assistait à la réunion des trois meilleurs fromagers des pays occidentaux. Selon lui, les elfes n’étaient pas fichus pour un sou de faire du fromage, car ils s’entêtaient à y ajouter des cristaux magiques ou des épices improbables, qui gâchaient tout. Ils se prétendaient fins gourmets, mais, en vérité, ils se gardaient bien de manger leurs produits – ils les vendaient aux villages côtiers en guise d’appâts à poisson.
Les fromageries des nains n’offraient guère de surprises ; elles ressemblaient à celles de Jonathan, en bien plus grand. D’énormes roues de fromage – drapées dans la gaze, ou bien gainées de cire et entourées de cordes, ou encore recouvertes de gros cristaux de sel gemme – étaient pendues à de hautes poutres.
Le long d’un mur, il y avait les fourneaux, les planches de découpe, les presses et une dizaine de nains plongés jusqu’aux coudes dans des bacs de lait caillé sucré. Les presses, énormes au point que l’une d’elles atteignait la taille de la maison de Jonathan, foisonnaient de leviers, de rouages et de tamis. Des morceaux de caillebotte gouttaient dans de longues rigoles creusées dans le sol et, toutes les dix minutes, on relevait une trappe dans le mur pour permettre à l’eau d’un canal de les laver.
Les ouvriers réservèrent à Jonathan un accueil princier et l’assurèrent que son nom était connu depuis des années au sein de leur laiterie. L’intéressé, qui en doutait fort, rougit et rétorqua que ses fromages pâlissaient de la comparaison avec les leurs. Mais les nains lui donnèrent de grandes tapes dans le dos pour le féliciter en disant que, comme leurs semblables, ils savaient apprécier la modestie naturelle.
Ensuite Hodgson les conduisit aux vastes salles de traite, envahies par un labyrinthe de stalles. Les vaches qui défilaient sur une sorte de manège appartenaient visiblement à une race hybride, typique de la région. Elles paraissaient deux fois plus massives que toutes celles que Jonathan se rappelait avoir vues autour de Havreville, mais le phénomène pouvait s’expliquer par la taille des nains qui s’affairaient à les traire. Les animaux bas d’encolure, la démarche lourde, les sabots ronds et noueux, les pattes courtes et épaisses comme des souches, avaient des yeux minuscules qui leur donnaient un regard stupide – ce regard dit « bovin » – que, pourtant, des plis de chair sur leur figure corrigeaient en faisant croire qu’elles cillaient, perdues dans leurs réflexions.
Achab ne sut que penser de ces bestiaux, mais parut sentir la ressemblance qu’il présentait avec eux et, ainsi, se trouver à l’aise en leur compagnie. Il renifla partout puis, comme s’il avait oublié son éducation, jeta un coup d’œil qui se voulait innocent dans un seau de lait, alors qu’il avait – son maître le savait – toutes les intentions d’y boire. Jonathan le menaça du doigt, ce que voyant, un nain s’empressa de servir une assiette au toutou, non sans lui tapoter le crâne.
Comme un ouragan, Hodgson fila superviser les trayeurs, et laissa donc à leurs affaires les mariniers, Achab et l’homme de la lune que Jonathan et le professeur suivirent dans un pré où ils s’assirent sur un banc criblé de trous et délavé par des années de pluies et de brouillards côtiers.
L’homme de la lune s’éclaircit la gorge, repoussa ses lunettes qui avaient glissé sur son nez et prit la parole sans ambages. « Messieurs, j’ai reçu cette nuit des messages venus de l’amont, et les nouvelles sont mauvaises, je le crains. »
Jonathan songea que la malédiction qui frappait la haute vallée avait atteint Havreville, mais il se trompait.
« Les habitants de Hautetour ont fui la ville. Il n’en reste qu’une poignée, une demi-douzaine tout au plus. Des créatures des marais ont investi les maisons. Des animaux, des gobelins et des hobgobelins qui se comportent d’étrange manière vont partout sans être inquiétés et font même affaire avec les deux ou trois marchands qui tiennent encore boutique.
— Intraitables, ceux-là », dit Jonathan. Il se rappelait sa rencontre avec le vieil Hobbs qui, comme Wurzle l’avait alors déclaré, était apte à « garder le moral » durant une crise.
« Imbéciles, plutôt, corrigea l’homme de la lune d’un air affligé. Tous autant qu’ils sont, j’en ai peur. Quant aux autres, ils sont partis vers l’aval ou l’amont avec pour seules richesses des paniers de vêtements et de nourriture. Triste époque. »
Le fromager secoua la tête. Trois villages de perdus entre Havreville et Maremme. Rien pour empêcher ces horreurs de gagner Havreville depuis Hautetour, sinon quelques kilomètres de forêts déjà infestées de trolls, de loups et, sans nul doute, de gobelins. « Il semble, monsieur, que le moment est venu pour le professeur, Dooly, Achab et moi de reprendre la route. On a besoin de nous à Havreville, et on se prélasse à Maremme. Ce n’est pas bon, je crois.
— Du tout, convint Wurzle.
— En effet, soupira l’homme de la lune. Chacun aime à penser que les ennuis se règlent d’eux-mêmes. C’est rarement le cas. »
Jonathan acquiesça. Il envisageait avec anxiété ces ennuis qu’évoquait son interlocuteur, et redoutait que le trajet jusqu’à Havreville n’eût rien d’une partie de campagne. « Il ne reste guère plus d’un mois avant la Noël et, ennuis ou non, il nous faut rapporter ces gâteaux et ces cadeaux d’ici là. On ne peut pas déchoir à la tradition.
— Bien au contraire, dit l’homme de la lune. On ne doit jamais y déchoir. On ne saurait changer de telles habitudes au gré de notre fantaisie ; elles sont trop profondément ancrées en nous. Non, M. Bing, vous avez tout à fait raison. Vous partirez bientôt à bord d’une embarcation qui devrait combler toutes vos attentes, et je gage que vous arriverez chez vous pour les fêtes. À temps pour décorer un beau sapin de Noël, allumer le feu dans la cheminée et goûter des plaisirs simples comme le tabac et la compagnie d’un chien fidèle et d’amis qui le sont autant – tout ce qui, au fond, fait l’agrément des fêtes. Voyez-vous, ce sont ces traditions-là qui nous permettent d’endurer les rigueurs d’un hiver. J’espère qu’elles nous permettront de survivre à celui-ci, M. Bing.
— Oui, monsieur », dit Jonathan qui trouvait ce discours aussi juste qu’émouvant. Il regretta soudain la fixité prochaine de ces quelques jours qu’il venait de passer à Maremme, ainsi que celle, plus lointaine pourtant, de l’avenir qui s’offrait à lui, quel que fut ce que ce gouffre réservait. C’était peut-être cette implacabilité qui magnifiait de tels instants dans le souvenir. Il se secoua, et se rasséréna à l’idée des fêtes qui approchaient – de nouveau, il verrait ce bon vieux Gilroy Bastable pour parler philosophie devant l’âtre.
« Bon, dit le professeur, toujours le premier à en revenir au fait, tout cela est un peu trop profond à mon goût. Pour ma part, j’entends vous prêter main-forte, et je crois pouvoir en dire autant de Jonathan, et de Dooly, aussi. Quant à Achab, ce n’est pas non plus un empoté pour ce qui est du sale travail. » Il tapota le crâne du chien. « Vous auriez dû le voir mettre les gobelins en déroute, près de Hautetour. Il était inspiré, ce jour-là. Bref, nous avons cru comprendre, monsieur, qu’un radeau adéquat nous serait fourni. En ce qui nous concerne, Jonathan et moi, nous ne voyons aucun intérêt à attendre plus tard que demain matin pour filer dare-dare. Notre séjour a été des plus gratifiants, mais le temps presse.
— Peut-être davantage encore que vous ne l’imaginez, fut le commentaire sibyllin de l’homme de la lune.
— Tout juste, dit Wurzle qui commençait à se mettre en rogne. Le premier idiot venu constatera que tout va à vau-l’eau sur l’Oriel, si vous me permettez ce raccourci. On ne compte plus les gobelins et les trolls en maraude, ni les vils crapauds et autres avanies de la même espèce, mais quel rôle est-ce que nous jouons là-dedans ? Autrement dit, le moment me paraît propice à ce que Jonathan, Dooly et moi-même jetions plus qu’un regard de spectateur confondu sur l’intrigue du drame, si vous me suivez. »
L’homme de la lune marqua son accord d’un hochement de tête, aussitôt imité par le fromager. Achab s’éloigna au petit trot pour renifler deux vaches qui passaient en mâchonnant du trèfle ; à l’évidence, il ne se souciait guère ni de cette intrigue, ni d’aucune autre.
« Je ne vais pas prétendre que l’affaire est simple, déclara l’homme de la lune, car elle ne l’est pas. Le danger s’accroît chaque jour, et le futur est un embrouillamini de possibilités. Mais votre rôle n’a rien de complexe. Je vous demande juste de transporter une certaine personne en amont – un individu dont vous avez, j’ose le dire, entendu parler. En échange, vous aurez votre radeau, et l’assurance d’avoir joué un rôle – très significatif, au demeurant – dans ce qui apparaîtra sans doute comme un événement crucial. Je préférerais dire une victoire cruciale, mais j’ai vu trop de retournements de situation dans ma vie pour me risquer à tant d’optimisme. » Il ôta ses lunettes et les nettoya avec le mouchoir à carreaux qu’il gardait dans la poche de sa veste. Il s’apprêtait à les remettre, mais dut voir une autre poussière, car il leur fit subir un nouveau polissage. Puis il se moucha à grand fracas, tira une étoffe propre de sa poche de pantalon et, avant de l’y remplacer par l’usagée, la rangea dans une de celles de son manteau. C’était un drôle de rituel, mais, comme l’homme de la lune semblait n’y attacher aucune importance, Jonathan se garda d’en faire la remarque.
« Qui c’est, ce type qu’on va trimbaler ? demanda-t-il. Un elfe guerrier ? Un nain brandissant sa hache ?
— Que nenni, répondit l’autre. J’espère sincèrement qu’il s’agira de M. Théophile Escargot, un gentilhomme que vous connaissez plus ou moins tous les deux. »
Le fromager n’en resta pas tout à fait abasourdi. À l’évidence, Escargot prenait une part importante dans les événements de la haute vallée – il en était peut-être même le responsable, d’une certaine façon. En tout cas, lui et sa montre semblaient figurer au premier rang des préoccupations de l’homme de la lune.
« Vous espérez, dit Jonathan d’un ton interrogateur, que le grand-père de Dooly va voyager en notre compagnie. Mais vous n’en êtes pas sûr ?
— Il faudra lui poser la question. Mais je crois qu’on peut le convaincre de venir. Le jeune Dooly nous y aidera. Escargot viendra, messieurs, qu’il le veuille ou non.
— Mais, si on doit répondre de lui, on ne peut guère l’y contraindre. Et qu’est-ce qu’il fera, tout seul ?
— Eh bien, pensez à une certaine montre de gousset. Une montre très particulière…»
Jonathan l’interrompit derechef.
« Que de sinistres individus comme Escargot se plaisent à utiliser pour voler des tartes aux pommes et des fromages.
— Il va sans dire. Elle peut contraindre un galion elfique à se poser dans le Bourbier de Fort-Rivière et entraîner la ruine d’un équipage chevronné. Détruire La Saulaie, et infliger le même sort à Fort-Rivière, Maremme, Havreville, Broméville, et qui sait où. Théophile Escargot va la voler. Pardon si je vous parle crûment. Il l’a volée une fois, il la volera encore, grâce à ce curieux dispositif entré en possession du professeur. »
L’intéressé se gratta la tête. Il regrettait à présent d’avoir laissé le tromblon-hautbois à l’auberge, puisque l’homme de la lune paraissait en savoir les secrets et aurait pu l’éclairer sur quelques points, encore obscurs – la déplorable tendance de cet objet à voler en grands cercles, par exemple.
« Ce dispositif, le questeur, reprit l’autre, a été conçu par Langley Snood. Vous avez peut-être entendu parler de lui.
— Qui ne le connaît pas ? » répliqua Wurzle. Jonathan, pour sa part, était sûr d’entendre ce nom pour la première fois, mais il hocha la tête pour marquer son soutien au vieil homme.
« Snood et ses équipiers, expliqua l’homme de la lune, ont hélas été surpris et vaincus par l’étrange tempête qui s’est abattue sur le Bourbier de Fort-Rivière, mais on ne saurait la croire seule cause de leur échec. L’engin de Snood était conçu pour retrouver une montre de gousset – celle-là même que possède l’insidieux nain du château de Hautetour. Il ne sert à rien d’autre, messieurs. Si la montre est à portée de voix du questeur, celui-ci vous y mènera. Infailliblement. La montre doit être retrouvée, volée, et tout ceci sous le sceau du secret le plus absolu, de peur que le voleur ne subisse le sort de Langley Snood dans le Bourbier. »
Le professeur Wurzle était stupéfait, mais ravi. D’avoir trouvé et réparé l’engin elfique s’avérait plus crucial qu’il ne l’avait espéré. « Nous ferons tout notre possible, dit-il.
— Bien sûr, convint le fromager. Et le plus tôt on partira, mieux ça vaudra. On dirait que la remontée de l’Oriel sera au moins aussi aventureuse que la descente.
— Faites comme vous l’entendez, résuma l’homme de la lune. Si vous acceptez seulement d’emmener Escargot, je suis votre obligé. Il n’est aucun besoin de me promettre davantage. Quant au départ, c’est pour cet après-midi. Dès que vous aurez récupéré Dooly et mangé un morceau, vous rencontrerez Twickenham et son équipage au palais, disons vers une heure. M. Twickenham est mon lieutenant, messieurs. Il prendra dès lors, comme on dit, le contrôle des opérations. Quant à moi, je crains de devoir retourner chez moi. Cela ne me réussit guère de m’en éloigner longtemps. J’écope de quelque chose d’assez similaire aux rhumatismes, vous comprenez. »
Jonathan ne comprenait pas grand-chose, mais il admirait Twickenham et, quitte à devoir obéir à quelqu’un, il préférait que ce fut à l’elfe.
« Pour ce qui concerne les pièces, reprit soudain l’homme de la lune comme s’il n’y songeait qu’après coup, est-ce que vous les avez apportées ? »
Le fromager dénoua le cordon de sa bourse. « Bien sûr. Vous comptiez me montrer dans quel ordre les disposer, non ? » De fait, il ne s’en souciait guère. Il appréciait l’idée que les choses eussent un ordre, mais il les trouvait plus mystérieuses et plus merveilleuses lorsque cet ordre demeurait caché. De plus, ces temps derniers, chaque révélation semblait devoir l’impliquer davantage dans cette ténébreuse affaire. Il montra les pièces, posées dans le creux de sa main tendue.
« Le secret est très simple, dit l’homme de la lune. Le nez de chaque poisson doit être pointé vers un, et un seul, des quatre points cardinaux. »
Jonathan s’exécuta. Une brume scintillante apparut sur les quatre faces et devint le visage de l’homme de la lune qui lui faisait de l’œil. Il retourna une pièce et les visages disparurent. « C’est aussi simple que ça ? Pas d’abracadabra ? »
L’autre secoua la tête. « Pas de formule magique. Rien de mystérieux. » Il se leva et épousseta le fond de son pantalon. « Je n’ai rien à ajouter, messieurs, mais je vous remercie.
— De rien », dit le professeur qui lui tendit la main. Ils se séparèrent. Wurzle et Jonathan repartirent vers l’auberge.
En chemin, Jonathan, qui ne savait trop que dire, cita une strophe d’Ashbless, son poète favori :
Quand le destin décide de l’issue d’un combat
En arrêtant un dé au bout d’une longue course,
Je frémis, je chancelle et je suis en émoi,
Mes plumes se hérissent et je cherche ma bourse
Pour parier sur une vie qui ne m’appartient plus
Mais que je chérirai, dussè-je l’avoir perdue.
« Voilà qui me semble approprié, décréta le professeur. C’est de G.Smithers ?
— D’Ashbless.
— J’aurais dû m’en douter. “Mes plumes se hérissent” ? À croire que le narrateur est un oiseau.
— Un homme déguisé en autruche, en fait », précisa le fromager.
Wurzle hocha la tête, puis désigna un point à mi-chemin de la prochaine rue transversale et de l’autre côté de l’artère qu’ils empruntaient. Dooly se tenait près d’une fontaine – un bassin de pierre taillée au centre duquel un poisson en bronze crachait son eau – et paraissait faire flotter des douzaines de fleurs en papier à la surface. Le spectacle était superbe, mais les fleurs ne tarderaient guère à perturber le mécanisme du jet d’eau, et le professeur le lui dit, gentiment. Ils dégagèrent le bassin, lancèrent les fleurs sur le caniveau alimenté par le déversoir, puis gagnèrent l’auberge, le jeune homme fermant la marche. À une heure de l’après-midi, ils étaient au palais, en présence de Twickenham et de son équipage qui, à leur grande surprise, les invitèrent à monter à bord du vaisseau elfique.